Le témoignage d'un papa qui se souvient
Interview de Monsieur LE HELLOCO par Monsieur Louis GUILLEMOT
Louis Guillemot : Monsieur Le Helloco, dans le cadre du 40ème anniversaire de notre Association, vous avez accepté de témoigner en tant que parent. Je vous en remercie. En premier lieu, voulez-vous nous parler de la découverte du handicap de Jean ?
Jean Pierre Le Helloco : Oui bien sûr. Jean est né le 8 mars 1991. Au mois d’août nous nous sommes interrogés sur sa vision. Il ne suivait rien du regard. Nous avons consulté un ophtalmo et un premier verdict est tombé : Jean est aveugle ! Notre réaction a été de chercher plus loin – peut-être était-il possible de faire quelque chose ? – Nous avons consulté un professeur à Nantes. Il effectué une série d’examens et nous nous sommes vus affligés d’un second verdict – certes annoncé avec beaucoup d’humanité, plus que la première fois – mais un verdict encore plus terrible : cécité évidente – lésion au niveau du cerveau – hypothèses d’évolution positive très faible – il fallait intégrer l’idée que Jean serait polyhandicapé à vie. Le choc était terrible.
L.G. : Comment avez-vous connu l’IME Les Enfants de Kervihan à Bréhan ?
JPLH : Quand je me suis installé à Bréhan en 1976, en tant que pharmacien d’officine, je ne pensais pas qu’un jour je serais amené à solliciter l’aide de l’Association Kervihan. Mes premières relations ont été des relations professionnelles.
LG : Dans quelles circonstances avez-vous été amenés à demander les services de l’Association ?
JPLH : Des circonstances dramatiques. Oh nous obtenions déjà quelques services en externat. Mais le 17 janvier 94 tout a basculé. Ma femme était partie dans sa famille avec nos deux fils, Jean dont nous parlons et David son aîné de deux ans et que nous avions adopté. Ils ont été victimes d’un accident de la route. Ma femme est décédée sur le coup et mes deux fils ont été hospitalisés. J’ai immédiatement téléphoné à M. Chaumont, directeur à Kervihan pour lui expliquer la situation et lui demander un service : celui d’accueillir Jean à l’IME quand il sortirait du CHU. J’y ai reçu le meilleur accueil. Je dois avouer que ce placement en internat a été pour moi un déchirement, car il signifiait une séparation d’avec mon fils qui n’avait pas encore 3 ans. D’un autre côté, ce placement était un soulagement car il me permettait de continuer à exercer mon métier. Très vite donc, nous nous sommes habitués, lui comme moi, à cette vie. Je prenais Jean à la maison chaque week-end, et durant la semaine je lui faisais souvent de petites visites en assurant moi-même la livraison des médicaments.
LG : Comment se sont passés les premiers mois, les premières années ?
JPLG : Pendant un an, j’ai repris Jean à la maison chaque week-end et les vacances. Nous en avions besoin l’un et l’autre. Au bout d’un an cependant, ce rythme de sortie est devenu trop lourd à vivre. J’ai alors demandé à Kervihan de prendre Jean à la maison un week-end sur deux et durant les vacances. Jean est passé en internat de quinzaine, ce qui me satisfaisait pleinement.
Après le temps de vacances que Jean prenait avec nous, je m’accordais quelques jours de repos. David avait aussi beaucoup besoin de moi.
C’est ainsi que de 1994 à 2005, Jean a vécu à Kervihan avec des hauts et des bas au niveau de sa santé, et avec quelques hospitalisations de temps en temps.
LG : Que s’est-il passé alors en 2005 ?
JPLH : En 2005, la direction de Kervihan m’a annoncé que Jean allait devoir quitter l’établissement pour être orienté vers Kerdreineg à Crédin. Cette annonce a fait naître en moi quelque appréhension très vite dissipée, après l’intégration de Jean à Kerdreineg. Ce nouvel établissement était en effet semblable à celui que Jean avait quitté. C’était un changement dans la continuité. La façon de vivre des enfants à Kerdreineg était semblable à celle de Kervihan, et le personnel tout aussi compétent et dévoué pour les enfants. Aujourd’hui Jean vient d’avoir 22 ans et se trouve toujours à Kerdreineg, où il a une vie qui lui est propre, avec de bons moments et des moments plus difficiles en fonction de sa santé.
Un jour viendra, je sais, où Jean devra quitter Kerdreineg, pour être orienté cette fois vers Ker Sioul à Bréhan. Cette nouvelle orientation apportera sans doute plus de changement dans la vie de Jean. Il passera en effet d’un établissement « enfant » à un établissement « adulte » qui disposera de moins de moyens financiers et humains, dus à une diminution du budget de fonctionnement. Cela est tout à fait regrettable pour nos enfants devenus adultes, mais c’est ainsi malheureusement.
LG : A la fin de cet entretien, y-a-t-il quelques messages que vous aimeriez passer ?
JPLH : Je voudrais dire maintenant qu’en tant que parent d’enfant handicapé, j’ai une pensée toute particulière pour 3 personnes qui ont été à l’origine des centres de l’Association Kervihan » : Le Docteur SAULNIER, aujourd’hui décédé, le Docteur LYARD toujours membre du Conseil d’Administration, et bien sûr Madame Claude POMPIDOU. Ces trois personnes ont œuvré pour que ces centres voient le jour avec l’aide et le soutien de la Fondation Claude POMPIDOU. Il leur a fallu beaucoup de courage et de ténacité, pour réaliser leurs objectifs, sans jamais céder au découragement. Qu’elles en soient ici remerciées.
Aujourd’hui, l’ »Association Kervihan » avec vous, Monsieur GUILLEMOT, comme Président, Monsieur MAILLARD comme Directeur, et les membres du conseil d’administration, poursuit son œuvre pour que les centres de l’Association puissent perdurer et se développer, toujours avec l’aide et le soutien de la Fondation Claude POMPIDOU. Votre tâche est parfois rude. Et nous parents comptons sur vous, pour préparer un avenir serein à nos enfants.
Je voudrais remercier enfin l’ensemble du personnel de tous les établissements de l’Association qui travaille merveilleusement bien, avec beaucoup d’amour et de tendresse pour nos enfants sans jamais se décourager quelles que soient les difficultés qui peuvent se présenter.
Je souhaite pour terminer « bon vent » à l’Association Kervihan et la meilleure vie possible à nos enfants.